Il y a eu une controverse, y compris sur ce blog, sur le caractère juridiquement contraignant ou non de la résolution 2728 (2024) du Conseil de sécurité de l’ONU sur la question palestinienne. Il me semble que si Eran Sthoeger insiste beaucoup sur la question de savoir si la résolution du Conseil peut être rattachée au Chapitre VII, Eirik Bjorge considère l’utilisation du mot clé « exigences » dans la résolution comme un élément essentiel. Le premier rejette la force contraignante de la résolution, et le second la confirme. Malheureusement, les deux universitaires ont omis une question clé concernant la nature contraignante de la résolution : celle de savoir si ladite résolution peut lier les acteurs non étatiques.
La résolution 2728 prévoit ce qui suit dans le premier paragraphe opérationnel :
(1) Exige un cessez-le-feu immédiat pour le mois de Ramadan, respecté par toutes les parties, conduisant à un cessez-le-feu durable et durable, et exige également la libération immédiate et inconditionnelle de tous les otages, ainsi que la garantie d’un accès humanitaire pour répondre à leurs besoins médicaux et autres besoins humanitaires, et exige en outre que les parties respectent leurs obligations en vertu du droit international à l’égard de toutes les personnes qu’elles détiennent ;
‘[A]L’expression « toutes les parties » inclut nécessairement un acteur non étatique important dans ce conflit, le Hamas. Je suis d’accord avec Bjorge lorsqu’il dit que l’utilisation par le Conseil du terme « exigences » comme mot clé, associée aux déclarations des membres du Conseil en faveur de la force contraignante de la résolution, donne une forte indication que le premier paragraphe opérationnel est juridiquement contraignant. Cependant, il s’agit ici de l’intention du Conseil. La question de savoir si le Conseil a le pouvoir juridique de lier les acteurs non étatiques est une autre affaire.
Les « exigences » du Conseil de sécurité à l’égard des acteurs non étatiques
Le pouvoir du Conseil de sécurité de lier les acteurs non étatiques est une question qui ne date pas d’hier parmi les spécialistes, puisque l’article 25 de la Charte des Nations Unies stipule que « les Membres des Nations Unies conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte ». Les acteurs non étatiques ne sont pas membres de l’ONU, il faut donc se demander si, dans quelle mesure et pourquoi les résolutions du Conseil peuvent lier les acteurs non étatiques.
Les cas de « demandes » du Conseil à l’égard d’acteurs non étatiques ne sont pas rares. Le paragraphe 2 de la résolution 1267 (1999) sur l’Afghanistan exigeait que les talibans livrent Oussama ben Laden, et son paragraphe 14 précisait clairement que cette demande créait « l’obligation » pour les talibans. La résolution 1127 (1997) sur l’Angola exigeait que l’UNITA s’acquitte de ses obligations au titre du Protocole de Lusaka. La résolution 1244 (1999) sur le Kosovo exigeait que l’UCK et les autres groupes armés albanais du Kosovo mettent immédiatement fin à toutes leurs actions offensives. La résolution 2178 (2014) a même exigé que « tous les combattants terroristes étrangers » cessent tous leurs actes terroristes. Plus récemment, la résolution 2677 (2023) a exigé que les dirigeants du Soudan du Sud mettent en œuvre un cessez-le-feu permanent.
L’avis consultatif de la CIJ sur le Kosovo a examiné en détail la résolution 1244, mais il s’est contenté de déclarer qu’« il n’est pas rare que le Conseil de sécurité formule des exigences à l’encontre d’acteurs autres que les États Membres de l’ONU et les organisations intergouvernementales » (paragraphe 116). L’avis n’a pas apporté de réponse claire à la question posée. Cependant, l’accumulation de la pratique du Conseil est tellement évidente que les États Membres de l’ONU semblent avoir accepté cette pratique. Ainsi, il est désormais fermement admis par les universitaires que le Conseil peut rendre des ordonnances contraignantes à l’encontre d’acteurs non étatiques, tels que des groupes armés et des individus (E De Wet, « Introduction au Chapitre VII » dans La Charte des Nations Unies : un commentaire (4e édition, 2024) pp. 1621-1622 ; FW Dahmane, « Les mesures prises par le Conseil de Sécurité contre les entités non étatiques » (1999) p. 244).
La base juridique de l’ordonnance contraignante du Conseil de sécurité à l’encontre des acteurs non étatiques, telle que prévue par la Charte des Nations Unies, n’est pas une question difficile, surtout lorsqu’il s’agit d’un ordre de cessez-le-feu, comme le premier paragraphe opérationnel de la résolution 2728. L’article 40 de la Charte des Nations Unies prévoit que le Conseil peut prononcer des mesures provisoires à l’encontre des « parties concernées », et non des membres de l’ONU. Cette formulation est suffisamment large pour inclure les acteurs non étatiques.
Pourquoi les résolutions du Conseil peuvent lier les acteurs non étatiques qui ne donnent pas leur consentement à la Charte des Nations Unies
Outre la base juridique que constitue la Charte des Nations Unies, la question de savoir pourquoi les acteurs non étatiques qui ne donnent pas leur consentement à la Charte des Nations Unies peuvent être liés par les résolutions du Conseil n’est pas facile à résoudre. La première explication possible – et quelque peu audacieuse – est que la Charte des Nations Unies est désormais la constitution de la communauté internationale et confère ainsi au Conseil une autorité complète pour lier les acteurs non étatiques. (B Fassbender, La Charte des Nations Unies comme constitution de la communauté internationale (2009) pp.148-150; A Peters, ‘Article 25’ dans La Charte des Nations Unies : un commentaire (4e éd., 2024) p. 1077). Néanmoins, je n’ose pas me rallier à la position selon laquelle l’utilisation du pouvoir constituant des « peuples des Nations Unies » tel que prévu dans le préambule de la Charte a donné naissance à la Charte des Nations Unies en tant que forme constitutionnelle (Fassbender, p. 94). Alors que « Nous, le peuple » dans la Constitution américaine est au singulier, « Nous, le peuple » dans la Charte des Nations Unies est au pluriel. Cela indique que la Charte est un traité intergouvernemental plutôt que la constitution de la communauté internationale.
La deuxième explication possible est beaucoup plus traditionnelle : il s’agit d’une approche du droit international fondée sur le consentement. Selon cette approche, les acteurs non étatiques relevant de la juridiction des États membres de l’ONU sont liés par la Charte de l’ONU par la ratification de la Charte de l’ONU par ces États. En d’autres termes, les acteurs non étatiques sont liés par la décision du Conseil par le consentement des États membres de l’ONU (LS Borlini, « The Security Council and Non-State Domestic Actors » (2021), p. 531 ; Dahmane, op.cit.). Cette explication ne contient pas de saut d’imagination et est également très cohérente avec le libellé de l’article 25 de la Charte de l’ONU, qui prévoit que ce sont les membres de l’ONU qui acceptent les décisions du Conseil.
Mais la discussion sur la résolution 2728 ne s’arrête pas là. Une question épineuse demeure : sous la juridiction de quel État le Hamas existe-t-il ? Si la bande de Gaza fait partie du territoire de l’État de Palestine, dont l’accès à l’ONU a été refusé par les États-Unis lors de la 9609e réunion du Conseil, aucune juridiction d’un État membre de l’ONU ne couvre la bande de Gaza. On pourrait affirmer qu’une telle juridiction est exercée par Israël, un État membre de l’ONU. Selon l’avis consultatif de la CIJ sur le territoire palestinien occupé, même après le retrait d’Israël de sa présence militaire de la bande de Gaza en 2005, Israël reste la puissance occupante, avec les obligations qui lui incombent en vertu du droit de l’occupation dans la bande (paragraphe 94). Pourtant, l’avis a conclu que « la présence continue d’Israël dans le territoire palestinien occupé est illégale » (paragraphe 266). Il est absurde de prétendre que la présence illégale pourrait être la base de la force contraignante de la résolution du Conseil.
La dernière base possible de la force contraignante de la résolution 2728 est la théorie du droit international coutumier (S Talmon, « Article 2 (6) » dans La Charte des Nations Unies : un commentaire (4e éd., 2024) p. 419). Selon cette approche, les dispositions de la Charte des Nations Unies établissant un système de sécurité collective ont donné naissance à des normes de droit international coutumier, sur la base desquelles le Conseil peut imposer des ordres contraignants même à des États non membres de l’ONU. Si tel est le cas, on pourrait estimer que le Hamas pourrait également être lié par l’ordre du Conseil via la juridiction de l’État de Palestine qui pourrait être lié par l’ordre du Conseil sur la base du droit international coutumier.
Si la valeur de cette théorie est compréhensible, à mon avis, la théorie du droit international coutumier est imbattable. La Suisse a abandonné sa politique restrictive de neutralité et a commencé à participer pleinement aux sanctions de l’ONU depuis 1990 avant son adhésion à l’ONU en 2002. Néanmoins, comme Talmon lui-même l’a mentionné, le Conseil fédéral suisse a insisté sur le fait qu’il n’a pas agi ainsi parce qu’il y était légalement obligé, mais de manière autonome et volontaire (MC Krafft et al., ‘Switzerland’ in National Implementation of United Nations Sanctions (2004)). Étant donné le petit nombre d’États non membres de l’ONU, cette pratique démontre l’absence de pratique générale menant à la formation du droit international coutumier susmentionné.
Conclusion
En conclusion, ce que l’on peut dire de la force contraignante de la résolution 2728 est déroutant. Le Conseil a voulu lier « toutes les parties », mais il n’a pas le pouvoir de le faire. La résolution n’est contraignante que pour les acteurs étatiques, pas pour les acteurs non étatiques des États qui ne sont pas membres de l’ONU. En d’autres termes, elle est contraignante pour Israël, pas pour le Hamas. La résolution a un caractère asymétrique en ce sens. Dire que la résolution 2728 est contraignante ou non n’est pas correct. C’est pourquoi je ne peux être d’accord ni avec Sthoeger ni avec Bjorge.
La résolution 2728 est politiquement et juridiquement très importante mais a un caractère problématique, comme le montre cet article. Cela est politiquement et juridiquement indésirable. La résolution suivante 2735 (2024) se contente d’« appeler » le Hamas à accepter la nouvelle proposition de cessez-le-feu du 31 mai. Le terme opérationnel « appelle » a généralement une nature de recommandation (N Krisch, « Introduction au Chapitre VII » dans La Charte des Nations Unies : un commentaire (3e éd., 2012) p. 1265), ce choix de terme est donc meilleur que celui de la résolution 2728. Le Conseil devrait adopter une autre résolution de cessez-le-feu dans un avenir proche. Il doit pleinement tenir compte des difficultés juridiques entourant sa compétence en vertu de la Charte des Nations Unies.