Traité BBNJ et juridiction consultative du TIDM – EJIL : Parlez !

1685703873 856 Thomas Buergenthal RIP E28093 EJIL Parlez

La Conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine des zones situées au-delà de la juridiction nationale, réunie à New York, a adopté la Accord en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer relative à la conservation et à l’utilisation durable de la diversité biologique marine des zones situées au-delà de la juridiction nationale (« Accord BBNJ » ou « Accord ») par consensus le 19 juin 2023. Actuellement, l’instrument a été signé par 84 États, dont la Chine, le Royaume-Uni, les États-Unis, l’Union européenne et tous ses membres. Il s’agit d’une avancée significative après des années de longues négociations et d’efforts diplomatiques pour protéger la biodiversité marine et promouvoir son utilisation durable dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale (« ABNJ ») couvrant près des deux tiers des océans mondiaux avec toutes leurs richesses et ressources. Le processus a commencé il y a près de deux décennies, lorsque l’Assemblée générale des Nations Unies a créé un groupe de travail informel ad hoc à composition non limitée pour étudier les questions liées à la conservation et à l’utilisation durable de la diversité biologique marine dans les ZADJN. Cependant, la conférence intergouvernementale n’a été convoquée par l’Assemblée générale des Nations Unies qu’en 2017.

Le nouvel Accord n’est pas seulement un ajout au régime des mers établi dans le cadre de la CNUDM de 1982, mais développe également une réponse à la récente perte biologique et à la dégradation des écosystèmes océaniques causées par le changement climatique, la pollution et la surexploitation des ressources marines. Cependant, la mise en œuvre efficace des outils nouvellement disponibles et le respect du régime de l’accord BBNJ dépendent d’un mécanisme rigide de règlement des différends. Cet article vise à présenter un seul aspect innovant de ce mécanisme : la compétence consultative du Tribunal international du droit de la mer (d’autres caractéristiques ont été évoquées précédemment ici et ici).

Au cours des négociations, plusieurs propositions ont été faites et discutées sur le renforcement du rôle du TIDM (lac Y. Shi), notamment en concevant le Tribunal comme une option de règlement des différends par défaut au lieu de l’arbitrage prévu par l’Annexe VII ou en créant une chambre spéciale chargée de statuer sur les affaires relevant de l’Accord BBNJ. Aucun d’entre eux n’a survécu dans la version finale, à l’exception de la fonction consultative. Il est intéressant de noter qu’une disposition pertinente relative aux avis consultatifs a été incluse à un stade ultérieur des négociations du Projet de texte révisé du 1er juin 2022. Son libellé était simple, conférant à la Conférence des Parties (« CoP ») le pouvoir de demander au TIDM de donner un avis consultatif « sur toute question juridique découlant du champ d’application du présent Accord ». Le texte final constitue toutefois un compromis qui inclut des limitations substantielles à la compétence consultative. Art. L’article 47(7) de l’accord BBNJ se lit comme suit :

« La Conférence des Parties peut décider de demander au Tribunal international du droit de la mer de donner un avis consultatif sur une question juridique relative à la conformité avec le présent Accord d’une proposition soumise à la Conférence des Parties sur toute question relevant de sa compétence. Aucune demande d’avis consultatif ne peut être demandée sur une question relevant des compétences d’autres organismes mondiaux, régionaux, sous-régionaux ou sectoriels, ou sur une question qui implique nécessairement l’examen simultané de tout différend concernant la souveraineté ou d’autres droits sur des terres continentales ou insulaires. territoire ou une revendication sur celui-ci, ou le statut juridique d’une zone comme relevant de la juridiction nationale. La demande indique la portée de la question juridique sur laquelle l’avis consultatif est demandé. La Conférence des Parties peut demander qu’un tel avis soit rendu d’urgence ».

D’une part, il s’agit d’une amélioration significative par rapport à d’autres conventions sectorielles à l’intersection du droit de la mer et du droit international de l’environnement. Il s’agit en fait du premier instrument juridique international universel, véritablement multilatéral, conférant à l’ensemble du Tribunal international du droit de la mer la compétence consultative. Ce caractère particulier a été reconnu par les États immédiatement après la conclusion de la Conférence intergouvernementale, notamment par les délégations chinoise et italienne. C’est également une voix importante de la communauté internationale dans la controverse sur la fonction consultative du Tribunal après son avis de la Commission sous-régionale des pêches de 2015, sans parler de la demande en attente de la Commission des petits États insulaires. Dans ce contexte, la disposition relative aux avis consultatifs apparaît comme une reconnaissance explicite de la fonction consultative inscrite à l’art. 21 du Statut du TIDM.

De plus, à la lumière de l’objectif de l’accord BBNJ dans son art. 2 – la conservation et l’utilisation durable de la diversité biologique marine dans les ABNJ, ses principes énoncés à l’Art. 7 – en particulier le patrimoine commun de l’humanité, et le erga omnis et erga omnes partes Étant donné le caractère essentiel de nombreuses obligations environnementales au sein de la BBNJ (voir l’avis consultatif du TIDM de 2011, ¶ 180 ; J. Mossop), les procédures interétatiques typiques peuvent ne pas être des lieux fréquents et adéquats pour résoudre des intérêts conflictuels. Dans la mesure où l’accord BBNJ réglemente les activités des États au-delà de la juridiction nationale, il déplace le centre de gravité des désaccords bilatéraux – comme les affaires de délimitation maritime – vers les litiges d’intérêt communautaire. Le canal consultatif serait probablement un forum plus efficace et plus approprié à cet égard, permettant également l’engagement procédural de tous les États intéressés (article 133 en vertu de l’article 138(3) du Règlement du TIDM).

En revanche, le libellé de la disposition est décevant car sa rédaction minutieuse restreint considérablement la portée du Tribunal. Premièrement, la demande de la CoP doit répondre à quatre conditions préalables positives pour déclencher la compétence consultative : i) il doit y avoir une proposition devant la CoP ; ii) la proposition doit porter sur n’importe quelle question mais relève des compétences de la CoP ; iii) une éventuelle demande doit porter sur une question juridique ; et enfin, iv) son objet portera sur la conformité de la proposition et de l’accord BBNJ. Il existe cependant également des conditions négatives dont la survenance exclut la compétence consultative du TIDM. Une demande ne doit pas aborder : i) les questions relevant des compétences d’autres institutions internationales (« organismes mondiaux, régionaux, sous-régionaux ou sectoriels ») ; ii) les différends concernant la souveraineté ou d’autres droits sur un territoire terrestre continental ou insulaire ou une revendication, même si seule une considération concurrente est nécessaire ; iii) le statut juridique d’une zone relevant de la juridiction nationale. Les conditions négatives ii) et iii) reproduisent les limitations envisagées à l’art. 60(9) et concernent en général des différends maritimes traditionnels entre États et, en tant que tels, ne devraient normalement pas être résolus par la voie consultative. Néanmoins, la condition négative i) est très lourde de conséquences et problématique, car elle exclut totalement la compétence du TIDM pour traiter des questions qui relèvent des compétences d’autres institutions, probablement même si elles sont partagées avec des organes créés en vertu de l’accord BBNJ.

Malgré ces limitations étendues que l’on ne trouve pas dans d’autres instruments juridiques conférant une compétence consultative aux cours et tribunaux internationaux (par exemple, l’article 96 (1) de la Charte des Nations Unies; l’article 159 (10) et 191 de la CNUDM) qui sont normalement limités uniquement par le principe de spécialité (lac Par exemple, l’avis consultatif sur les armes nucléaires, ¶¶ 25-6), il est possible que le Tribunal international du droit de la mer joue un rôle de coordination au sein du régime et de la gouvernance fragmentés des ABNJ. Art. L’article 47 de l’Accord BBNJ envisage la compétence de la CoP principalement dans les questions techniques (questions budgétaires et procédurales) et celles relatives à la mise en œuvre de l’Accord. Mais son article (6)(c) stipule que la CoP a également pour mandat de :

« promouvoir, notamment en établissant des processus appropriés, la coopération et la coordination avec et entre les instruments et cadres juridiques pertinents et les organismes mondiaux, régionaux, sous-régionaux et sectoriels concernés, en vue de promouvoir la cohérence entre les efforts visant à la conservation et à l’utilisation durable des zones de diversité biologique marine. au-delà de la juridiction nationale ».

Si une proposition pertinente était soumise à cet égard à la CoP, le TIDM pourrait être invité à fournir des orientations juridiques. Mais il lui faudra surmonter l’inconvénient de ne pas aborder les questions relevant des compétences des mêmes organismes mondiaux, régionaux, sous-régionaux et sectoriels. Seule la pratique future de la CoP et du Tribunal montrera si cet équilibre peut être atteint. Néanmoins, il reste incontestable que les questions générales et transversales – comme celles portées devant la CIJ et le TIDM sur le changement climatique et les obligations de l’État – ne seraient pas autorisées en vertu de l’art. 47(7)

Il est important de noter que l’accord BBNJ a renforcé institutionnellement le Tribunal international du droit de la mer, bien que de manière conservatrice. Il s’agit du premier instrument environnemental et du droit de la mer qui confère au Tribunal la pleine compétence consultative à la demande de la Conférence des Parties. La pratique la plus récente des États indique sans équivoque que la communauté internationale est disposée à utiliser ce mode d’orientation juridique pour protéger et préserver les biens communs et leurs richesses. On peut considérer cette innovation comme un ajout dénué de sens, mais elle a le potentiel de devenir un outil de coordination dans le cadre fragmenté des ABNJ.

Ce texte a été préparé dans le cadre du projet de recherche no. 2021/43/D/HS5/00674 financé par le Centre scientifique national polonais.

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Author: Isabelle LOUBEAU