qualifier une réclamation de « civile et commerciale ». – loi gavc – geert van calster

Lors de mes examens d’août sur les conflits de lois, j’ai posé aux étudiants la question suivante :

Dans l’affaire C-494/23 Mahales faits sont les suivants. Le 19 août 2017, les demandeurs ont acheté un véhicule automobile en Allemagne. Le 12 septembre 2017, le véhicule a été saisi par la police de la République tchèque au motif qu’il fait l’objet de soupçons d’infraction pénale de vol commis en France. La police a ensuite placé le véhicule en garde à vue. Les requérants ont ensuite déposé une demande auprès du tribunal tchèque pour que le véhicule soit remis en liberté.

Étant donné que, dans des procédures antérieures, d’autres personnes avaient revendiqué un droit sur le véhicule, selon la loi tchèque, le consentement de toutes les personnes concernées est requis pour la libération de la personne détenue, ou le remplacement de leur consentement par une décision de justice. En conséquence, les requérants ont déposé auprès du même tribunal une demande contre les prévenus résidant en France, pour obtenir la substitution de leur consentement à la remise en liberté de l’objet. Les accusés n’ont pas assisté à la procédure

Il est demandé à la CJUE de déterminer

        1. si une procédure visant à substituer le consentement du défendeur à la libération d’un objet de la garde judiciaire dans lequel l’objet a été placé par une autorité chargée de l’application des lois dans le cadre d’une procédure pénale, si elle relève du terme autonome du droit de l’Union européenne de « matière civile et commerciale » comme défini à Bruxelles Ia.; et
        2. si elle tombe effectivement sous ce terme, si une demande d’ouverture d’une telle procédure peut être considérée comme constituant une demande dans « toute autre procédure de tierce opposition » au sens de l’A8(2) Bruxelles I bis.

Selon vous, quelle devrait être la réaction de la CJUE ? Répondez aux deux questions, même si vous estimez que la réponse à la question 1 devrait être négative.

Je m’attendais bien sûr à ce que les étudiants examinent les principales affaires « civiles et commerciales », telles qu’elles ont été examinées en détail sur le blog – et en classe ; Je ne demande pas seulement aux étudiants de lire le blog ;-¬ , de souligner la confusion/incertitude persistante et de prendre une décision dans un sens ou dans l’autre.

Mes deux cents étaient effectivement sur la réclamation être civile et commerciale. Il s’agit d’une réclamation à la périphérie d’une enquête pénale, mais la réclamation elle-même en est une pure restitution/confirmation de propriété, entre des parties dont aucune n’est une autorité publique, où aucun pouvoir extraordinaire n’est utilisé par aucune des parties impliquées.

La CJUE a statué différemment il y a deux semaines. Il est à mon avis révélateur de l’état de confusion autour de ce déclencheur essentiel de Bruxelles Ia qu’un autre commentateur, tout à fait légitimement, trouve l’arrêt « pas surprenant ».

Considérez les raisons pour lesquelles la juridiction de renvoi suggère que l’affaire pourrait être civile et commerciale, [19]:

La juridiction de renvoi estime que certaines considérations conduisent à conclure que la procédure de substitution du consentement à la libération judiciaire relève de la notion de « matière civile et commerciale » au sens de l’article 1er, paragraphe 1, du règlement n° 1215. /2012 et, par conséquent, relève du champ d’application matériel de ce règlement. Ainsi, la garde à vue a pour but de dissiper, dans le cadre d’une action civile, tout doute sur laquelle des personnes concernées peut se voir restituer l’objet en raison d’un droit de propriété ou d’un autre droit. Par ailleurs, ces procédures, qui sont inter partessont régies par les règles de procédure civile, plus particulièrement par celles relatives aux procédures judiciaires spéciales.

Je ne répéterai pas toutes les références incluses par la CJUE car ce sont des références classiques (toutes revues sur le blog) ; cette fois, le principal port d’escale semble avoir été Léchouritou où la Cour avait résumé sa position (en 2007) et en référence à d’autres classiques [Eurocontrol, Rüffer [7]; Gemeente Steenbergen [28]; Préservatrice foncière TIARD SA contre État des Pays-Bas [20]; Land de Haute-Autriche contre ČEZ [22]]comme suit :

Il convient de rappeler que, afin d’assurer, dans la mesure du possible, l’égalité et l’uniformité des droits et obligations qui découlent de la convention de Bruxelles pour les États contractants et les personnes auxquelles elle s’applique, les termes de cette disposition devraient ne doit pas être interprété comme une simple référence au droit interne de l’un ou l’autre des États concernés. Il ressort ainsi de la jurisprudence constante de la Cour que la « matière civile et commerciale » doit être considérée comme une notion autonome à interpréter en se référant, d’une part, aux objectifs et à l’économie de la convention de Bruxelles et, d’autre part, aux principes généraux qui sont issus du corpus des systèmes juridiques nationaux…

Selon la Cour, cette interprétation conduit à exclure certaines actions et décisions judiciaires du champ d’application de la convention de Bruxelles, en raison soit des relations juridiques entre les parties à l’action, soit de l’objet de l’action…

Ainsi, la Cour a jugé que, si certains actes entre une autorité publique et une personne de droit privé peuvent relever du champ d’application de la Convention de Bruxelles, il en va autrement lorsque l’autorité publique agit dans l’exercice de sa puissance publique.

L’essentiel du renvoi Lechoritou de la CJUE dans l’affaire actuelle se trouve dans [44]. La juridiction de renvoi et les demandeurs avaient fait valoir que la procédure préliminaire se déroulait entre des particuliers sans impliquer les autorités répressives, que la procédure était inter partes et que les règles détaillées de son exercice sont régies par les règles de procédure civile (le genre d’arguments qui, dans d’autres cas, ont contribué à parvenir à une conclusion « civile et commerciale »). Dans l’affaire Mahá, la CJUE répond [44] en référence à Lechoritou ([41)}

the fact that the plaintiff acts on the basis of a claim which arises from an act in the exercise of public powers is sufficient for his action, whatever the nature of the proceedings afforded by national law for that purpose, to be treated as being outside the scope of the Brussels Convention

Pro memoria: Lechoritou involved a claim by Greek nationals against the German State, on the basis of a nazi massacre in 1943. A money claim by private individuals against a foreign state (unlike current case between private parties) directly ‘arising from’ the ultimate act of sovereign power namely warfare.

The situation in current case is very very different.

[36] la CJUE insiste sur le fait que l’action actuelle « se fonde sur » – je ne pense pas qu’elle le soit : elle en découle, elle ne se fonde pas sur elle – « de la procédure de saisie ordonnée par les forces de l’ordre et du placement des biens en cause » sous la garde du tribunal. Ceci, c’est dit [36] « est une condition préalable essentielle à la libération des biens de la garde du tribunal et à la restauration des biens » et [37] « Il s’ensuit que, tant par son objet que par son fondement, la procédure de substitution du consentement étant inextricablement lié à la saisie des biens en cause par les autorités chargées de l’application des lois et à la mise ultérieure des biens sous la garde du tribunal, ils ne peut être examiné sans tenir compte de cette procédure.» (c’est nous qui soulignons)

Cette focalisation sur l’« inextricablement lié », la « condition préalable » de la revendication de propriété et le voisinage de la procédure pénale nous rapproche, à mon avis, du critère contextuel adopté par la Cour dans Kuhn et, à mon avis, est susceptible de conduire à une confusion encore plus grande, ainsi qu’à des possibilités de forum shopping. Il existe une quantité infinie de poursuites civiles qui sont inextricablement liées aux procédures pénales qui constituent la condition préalable à la poursuite civile en cause ou qui découlent d’une telle poursuite. Engager des actions en diffamation qui, dans de nombreux États, constituent une infraction pénale, ou intenter des actions en dommages-intérêts dans le cadre du droit de la concurrence ou de la concurrence déloyale : les deux sont sanctionnés pénalement dans tous les États membres de l’UE. Laisser aux tribunaux nationaux le soin de décider si le lien est suffisamment intime pour justifier l’exclusion de Bruxelles Ia est susceptible de mettre en danger l’ADN numéro un de Bruxelles Ia, qui, la dernière fois que j’ai regardé, continue d’être la prévisibilité.

Geert.

Droit international privé de l’UE, 4e éd. 2024, Rubrique 2.2.2.2.

Author: Isabelle LOUBEAU