Un nombre massif de migrants (enfants) vénézuéliens se déplacent, fuyant des conditions humanitaires déplorables. A Curaçao, il semble que beaucoup soient expulsés sans évaluation préalable de leur cas.
La crise politique, économique et sociale au Venezuela est un problème permanent. Il y a un manque de nourriture et de médicaments, et dans de nombreuses régions, c’est dangereux en raison de la violence des gangs. L’UNICEF estime que cette année 116 596 enfants souffriront de malnutrition aiguë (UNICEF 2022). Cela pourrait nuire au développement sain de ces enfants et pourrait être irréversible (Ke & Ford-Jones 2015). Cette situation pousse de nombreux Vénézuéliens à migrer et un petit nombre de migrants vénézuéliens (enfants) sont arrivés à Curaçao. En raison de la non-applicabilité de la Convention des Nations Unies sur les réfugiés à Curaçao, leur position juridique globale est marginale. Le pays a pour politique de statuer sur les demandes sur la base de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), mais jusqu’à aujourd’hui, aucun (enfant) migrant vénézuélien n’a reçu de décision sur la base de cette politique. Au fil des ans, plus d’un millier de Vénézuéliens ont été expulsés du Royaume des Pays-Bas (Sandelowsky-Bosman 2022).
Le traitement des migrants vénézuéliens au sein du Royaume des Pays-Bas a fait l’objet de diverses études ces dernières années (voir par exemple Sandelowsky-Bosman, Liefaard, Rap & Goudappel 2021, Amnesty International 2018 et 2021, l’Ombudsman de Curaçao 2018). Ces études portaient principalement sur la personne du migrant et son droit de ne pas être expulsé de Curaçao lorsqu’il existe des motifs sérieux de croire qu’il risquerait de subir un préjudice irréparable à son retour (principe de non-refoulement). Ce principe est implicitement inscrit dans l’article 3 CEDH (l’interdiction de la torture). Peu d’attention a été accordée à la question de savoir si ce droit s’applique aux conditions humanitaires déplorables au Venezuela. L’une ou l’autre attention a été accordée à la version adaptée aux enfants de ce principe qui est implicitement inscrit dans les articles 6 et 37 de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant (UNCRC). La CEDH et la CNUDE sont applicables à Curaçao.
Une étude récente de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) montre cependant que l’applicabilité de l’article 3 CEDH à la situation humanitaire déplorable au Venezuela n’est pas a priori exclus, en particulier dans les cas où les gens ne peuvent pas subvenir à leurs besoins les plus élémentaires sans aucune perspective d’amélioration de cette situation (Sandelowsky-Bosman 2022). Il est d’ailleurs probable que les expulsions d’enfants vénézuéliens enfreignent la CNUDE. La CNUDE interdit également aux États de renvoyer des personnes lorsqu’il existe un risque de préjudice irréparable à leur retour (Comité pour la protection des droits de tous les travailleurs migrants et des membres de leur famille et Comité CRC 2017, par. 45), mais l’interprétation de cette principe à l’égard des enfants est beaucoup plus protecteur que l’interprétation étroite de la Cour EDH de l’article 3 CEDH à cet égard. Un risque réaliste de préjudice irréparable n’est pas requis, seul un doute raisonnable à cet égard suffit. Le Comité CRC a décidé que l’évaluation de tels doutes devait être effectuée selon le principe de précaution (AM c. Suisse, par. 10.4, voir aussi Klaassen et Rodrigues 2021). Le Comité n’a pas défini le principe de précaution, mais dans quatre avis récents, il a soutenu que lorsqu’il existe « des doutes raisonnables quant à la capacité de l’État d’accueil à protéger l’enfant contre de tels risques, les États parties devraient s’abstenir d’expulser l’enfant » (Sandelowsky -Bosman 2022). Le Comité a également réitéré que l’intérêt supérieur de l’enfant devrait être une considération primordiale dans les décisions concernant l’expulsion d’un enfant et que ces décisions devraient garantir – dans le cadre d’une procédure assortie de garanties appropriées – que l’enfant sera en sécurité et bénéficiera des soins appropriés revenir. L’évaluation doit tenir compte des conséquences graves pour les enfants d’un accès insuffisant à la nourriture et aux soins médicaux (Comité CRC 2005, par. 27).
Compte tenu de tout cela, les procédures d’expulsion à Curaçao, au sein du Royaume des Pays-Bas, sont préoccupantes. Il semble que les expulsions soient conduites sans une évaluation individuelle préalable de la situation des migrants expulsés. Les arrêtés d’expulsion font à peine référence à des données personnelles, ce qui semble impliquer que la procédure menant aux arrêtés est également très sommaire. Il semble que dans chaque ordre d’expulsion, le migrant soit qualifié de « migrant clandestin », ce qui suggère que l’ordre est déjà prédéterminé. Un éventuel recours au principe du refoulement ne semble jamais être mentionné dans ces ordonnances. De tels recours sont même découragés par la menace que ceux qui invoquent ce principe soient placés en détention. Ces menaces ne sont pas sans effet : un migrant vénézuélien a été détenu pendant onze mois, dont neuf mois après avoir invoqué l’article 3 CEDH. Pendant sa détention, il n’a reçu aucune réponse officielle à son invocation de l’article 3 CEDH. Lors d’une audience au tribunal un an après son incarcération, le ministre de la Justice de Curaçao n’a pas pu expliquer quand une telle réponse était attendue (Sandelowsky-Bosman 2022, note de bas de page 87). L’absence apparente d’examens individuels rend la procédure d’expulsion a priori contraire à l’interdiction des expulsions collectives (article 4 du Protocole n° 4 à la CEDH).
Il est grand temps de revoir la procédure d’expulsion à Curaçao afin de mieux protéger les droits des (enfants) migrants vénézuéliens. Ce message ne s’adresse pas seulement au gouvernement de Curaçao. Il est également dirigé d’urgence contre le Royaume des Pays-Bas. En tant qu’État partie à la CEDH et à la CNUDE, le Royaume est responsable de la mise en œuvre des droits humains internationaux et des droits de l’enfant au sein du Royaume. Cela implique également un rôle plus actif du gouvernement des Pays-Bas, le pays le plus grand et le plus riche du Royaume.